Notre monde n'était plus que chaos. Nos parents, nos grands-parents et nos arrière-grands-parents s'égorgeaient dehors, dans des torrents de glace et de feu, sous des pluies acides et des vents rageurs. Antharès n'était plus que l'ombre de lui-même et, bien que se sachant condamnés, Anges et Démons continuaient à vouloir asseoir leur domination sur l'autre race. J'étais, avec les autres enfants, rassemblé dans le dernier temple de la désolation encore debout, les autres ayant été rasés par les armées angéliques. Les prêtres tentaient de nous rassurer, murmurant que tout se passerait bien et qu'avant minuit, nous serions loin de toute cette désolation, dans un monde riche et verdoyant.

L'attente fut pire que la lumière qui nous éblouit à 23h58, nous projetant dans notre nouveau monde. Hébété et hagard comme les autres jeunes démons, nous nous regardions, ne sachant trop quoi faire. Finalement, les plus âgés, ceux dont le don était déjà éveillé, façonnèrent un abri de fortune pour que nous passions la nuit.

Les mois qui suivirent nous permirent de nous organiser et une cité sorti doucement de terre. Quant à moi, mon don s’éveillait doucement, un don précieux dans ce monde car il me permettait de chasser notre pitance.

C’est d’ailleurs lors d’une de mes sorties qu’eut lieu mon premier contact avec des autochtones qui plus tard nous nommerons « Chimérides ». Le regard lubrique de mes compagnons plus âgés me fit comprendre que ce type de gibier était pour un usage particulier, ce qui, je l’avoue, m’écœura à l’époque.

Quatre ans que nous avions quitté notre monde et Rak-Namar, notre cité, s’était bien développée, chacun y trouvant sa place. C’est également à ce moment-là que nos explorateurs revinrent avec la plus terrible des nouvelles : les anges avaient eux aussi, bâti une cité appelé Drimyll. L’éternel guerre entre nos races allait reprendre de plus belle dans ce monde qui ressemblait pourtant à l’Eden.

La guerre à nouveau. Nous qui devions offrir un avenir florissant à nos races, nous nous battions de façon encore plus virulente que nos ancêtres. Enfin, les pertes angéliques et démoniaques étaient moindres car nous abusions de nos esclaves, les autochtones de ce monde. Les Aum-nûm étaient moins résistants que les Chimérides, mais leur ingéniosité était surprenante, même quand il s’agissait d’éliminer les leurs combattant dans les lignes adverses.

Après un siècle de massacres inutiles, un compromis est trouvé. J’en suis assez satisfait, la guerre m’a laissé une belle balafre sur le torse et un goût amer en bouche. Comme beaucoup, j’aide à bâtir la cité d’Andranell, la cité du renouveau et de l’entente entre les Anges et les Démons. Je ne saurais dire combien ils étaient en arrivant sur cette terre, mais la guerre ne les a pas laissés plus nombreux que nous le sommes.

Deux ans, c’est le temps qu’il a fallu pour qu’Andranell sorte entièrement de terre. La cité est gigantesque et le lac qui l’entoure semble aussi grand qu’une mer. Je m’y installe et ouvre un bar afin de permettre à tous les combattants d’oublier les ombres des champs de bataille et laver leur bouche du goût de sang qui y persiste.

Trente ans après la guerre, un nouveau conflit naît. Non pas entre les races supérieures, bien que des tensions existent encore entre les ethnies, mais avec nos esclaves. Ceux-ci se regroupent dans les ombres et attaquent régulièrement les convois et les boutiques qui nous fournissent nos précieux animaux de compagnies/larbins.


Vraiment… Suis-je damné au point de ne pouvoir vivre ne fut-ce que six cents années de tranquillité…


Ethan Hole